Comment êtes-vous devenu luthier?

J'ai toujours été attiré par le travail manuel. Enfant, je fabriquais mes jouets au moyen de bâtonnets de glace et d'un peu de colle. C'est mon grand-père paternel qui m'a communiqué sa fibre musicale. Il était violoniste dans un orchestre amateur. Il m'a fait découvrir le violon très petit mais je n'ai commencé à prendre des cours qu'à l'âge de dix ans. Vers seize ans, j'ai pris conscience de mon attirance pour cette profession et j'ai commencé la fabrication d'un violon tout en continuant mes études. Après mon Baccalauréat, j'ai mis toute mon énergie pour trouver une école et apprendre le métier. J'ai d'abord effectué un CAP d'ébéniste en formation accélérée avant d'intégrer l'école de Newark en Angleterre. Tout au long de ma formation, je passais mes vacances scolaires en stage chez les luthiers pour apprendre encore plus. Mon diplôme en poche, j'ai travaillé à Londres et à Berlin pour finalement fabriquer des instruments à Montpellier: tout d'abord à l'atelier de Friedrich Alber où j'ai appris à regarder et travailler avec précision, puis à celui de Frédéric Chaudière où je me suis perfectionné dans la compréhension des styles.

 

D'où vous vient cette passion pour la lutherie?

En lutherie, les joies du métier sont multiples et variées. En effet, toutes les étapes nécessaires à la réalisation d'un instrument font appel à un grand nombre de disciplines. Ainsi, le luthier utilise le dessin et la géométrie pour le tracé des moules et des contours, l'ébénisterie pour les joints et les queues d'aronde, la sculpture pour la tête et les voûtes, l'accoustique, la physique et la musique pour le travail du son, la chimie, la peinture et la botanique dans la préparation des teintes et des vernis. S'y ajoutent encore le travail du métal très utile dans l'élaboration des outils personnels de l'artisan, ainsi que l'histoire et l'expertise, précieuses dans l'analyse, l'assimilation et la connaissance des techniques et des différents styles de fabrication; sans oublier deux activités tout aussi indispensables que passionnantes: d'une part le relationnel dans les rencontres avec les musiciens et d'autre part le voyage pour la recherche des meilleures essences de bois. C'est pourquoi chaque journée est différente, nourrissant ma passion qui reste intacte.

Voulez-vous dire que la forme du violon évolue?

Non, la forme en elle-même a évolué tout au long de l'Antiquité et du Moyen-âge et s'est figée au milieu du XVIe siècle par Andrea Amati car elle était aboutie et parfaite. Elle est l'héritage d'essais, de réflexions, de découvertes, d'avancées techniques, et de la pensée de cette époque qui se traduisait par "tout ce qui ressemble à la nature est harmonieux".

Cette forme correspond à une sonorité et une musique ancrée dans notre culture. Le quatuor à cordes est le fondement même de l'orchestre autour duquel gravitent les autres formations. Toucher à sa forme physique engendrerait un changement des bases mêmes du son de l'orchestre et donc une modification profonde de toute la musique classique. C'est pourquoi il est impossible de la transformer radicalement. L'évolution se fait plutôt dans sa fabrication et dans la compréhension des méthodes autrefois utilisées.

 

A l'ère du XXIe siècle, vous fabriquez donc encore les violons comme au XVIIe siècle?

Oui, je pense que l'esthétique, l'harmonie et le son sont un tout. Pour réaliser des instruments qui ont des qualités sonores égales aux Amati, Guarnerius et Stradivarius, j'essaie de me rapprocher le plus possible des techniques de leur époque. Cela va dans le choix des techniques, des gestes, des matériaux, des outils, du vernis et même jusqu'à l'emplacement de mon atelier. Il se trouve au sein de l'enceinte romane de Montpellier dans un quartier riche en architecture de cette époque. Etre baigné dans des proportions élaborées selon le même système que celles des violons est une source essentielle pour la compréhension des contours de l'instrument. Je me rends dans les scieries du nord de l'Italie pour l'épicéa et des Balkans pour l'érable. Je cuis moi-même mon vernis selon des recettes de cette époque. Je recherche les procédés et matériaux authentiques de l'époque comme du papier du XXVIIe siècle avec un filigrane IHS pour imiter les étiquettes de Guarnerius. Je fabrique mes outils et essaie de travailler le plus possible à la main. Je n'ai qu'une scie à ruban et cela ne me prend pas plus de temps pour faire un violon.

Mais authenticité n'est pas obscurantisme. Je reste très ouvert aux nouveautés et évolutions des cordes et accessoires. Aujourd'hui, le carbone, le titane, le tungstène et le kevlar ont révolutionné le montage et sont devenus incontournables.

 

Combien de temps faut-il au juste pour faire un violon?

Tout dépend comment on compte, chaque instrument étant unique, cela va de six semaines à presque toute une vie!

Comment cela? J'avais cru entendre qu'il fallait environ un mois pour un violon et deux pour un violoncelle.

Oui, d'une manière générale, c'est ce que l'on dit. Avec un modèle où je suis en confiance c'est-à-dire que j'ai réalisé plusieurs fois avec succès de son, il faut environ deux semaines de travail intense pour la réalisation d'un violon "en blanc". Puis viennent s'ajouter deux à quatre semaines pour le vernis, le séchage et le montage. Mais il y a certains instruments qui ne fonctionnent pas toujours au premier "cri", ou qui ont un vernis qui ne vieillit pas forcément comme il faudrait; d'autres sont des instruments avec lesquels je réalise des essais de vernis. Il faut alors attendre un an avant de le vernir, effectuer des réglages, reprendre des épaisseurs parfois ou revernir l'instrument.

Mais je préfère fabriquer dans un labse de temps assez réduit car j'ai remarqué qu'un instrument réalisé sans interruption est plus harmonieux, plus stylé. Il possède une unité dans son ensemble. Il dégage l'énergie et la concentration que l'on y a apportées. Aussi est-il nécessaire d'avoir, au préalable, préparé le moule, les filets, les contre-éclisses, acquis de bonnes méthodes de travail efficaces, un vernis qui "fonctionne" bien et une idée précise vers ce dont on veut aller. C'est pourquoi, il est difficile d'expliquer le temps passé à la réalisation d'un violon. Mais si l'on additionne tous ces éléments, alors oui, il faut un à deux mois pour fabriquer un violon.

 

Pourquoi est-ce si difficile de fabriquer un bon violon?

Comme je vous l'ai expliqué auparavant, la lutherie nécessite de multiples connaissances dans de nombreux domaines. Pour faire un bon violon, il faut un maximum de contrôle sur toutes les étapes de fabrication ainsi que dans le choix des matériaux. Il faut donc tout faire soi-même ce qui commence par le choix du bois dans les scieries, la fabrication et la teinture des filets, la récolte de la résine de pin pour le vernis...

C'est aussi un métier d'expérience car c'est avec du recul que l'on sait si on ne s'est pas trompé, surtout en début de carrière . Nicolo Amati, lorsqu'il fabriquait ses instruments avec les outils et méthodes de son grand-père Andrea, avait déjà à ses côtés les violons centenaires réalisés par celui-ci, s'inspirant donc de son travail. Par conséquent, par imitation, il pouvait faire en sorte qu'un instrument vieillisse bien. En ce qui me concerne, ayant travaillé dans la fabrication chez deux luthiers, je peux dire que je bénéficie aujourd'hui de leur expérience respective s'étalant sur une vingtaine d'années.

 

Quels sont vos modèles de prédilection?

J'utilise pour les violons deux modèles de Stradivarius que sont le "Viotti" de 1709 et le "Medici" de 1716 et un modèle de Guarnerius qui est le "Plowden" de 1735. Pour un alto de 41,5cm, je possède un moule du "Conte Vitale" de 1676 de Andrea Guarneri. J'ai tracé aussi un modèle plus élargi et un modèle plus petit de 40,5cm. Mes violoncelles sont quand à eux construit autour d'un moule de Matteo Goffriller de 74,9cm. Je trace tous mes moules au compas selon le procédé utilisé au temps de Stradivarius et découvert par F. Denis.

 

Quel est votre credo en matière de fabrication?

Un violon est une sculpture sonore en bois. Sa fonction principale est d'amplifier le son de la corde frottée par un archet. La fréquence de la corde en vibration est transmise au chevalet qui la communique à la table. Ensuite cette vibration traverse l'âme pour rejoindre le fond qui vibre à son tour. La caisse harmonique joue le rôle de résonateur. Les molécules d'air qui y sont "emprisonnées", sous l'effet des vibrations, se meuvent et créent le son qui est expulsé par le fond à travers les ouïes.

Comme un musicien qui pour jouer librement ne doit pas être tendu, un instrument pour sonner doit être libre de toute tension. Je privilégie donc une inertie des forces lorsque je fabrique. Par exemple, le forçage de mes barres est réparti sur toute la longueur. De même, une éclisse pliée sur le moule doit rester en place une fois sortie. Réduire toutes ces tensions crées et provoquées par la manipulation et la transformation du matériau permet à l'instrument une fois fini de résonner librement et de laisser place ainsi à sa fonction principale.